Cycle et fin d’année

Nous avons chacun un rapport personnel avec la fin de l’année. Festive ou non, selon nos traditions, croyances, envies et expériences. La fin de l’année symbolise l’achèvement d’un cycle et annonce les prémices d’un nouveau. Elle peut nous permettre de faire le point, voire de faire une pause. Observer ce qui est là, ce qui est derrière nous et à venir. Poser peut-être une intention, ou rien du tout.

Le cycle se caractérise par une suite de phénomènes se renouvelant dans un ordre immuable. Quoi que l’on fasse, expérimente, pense, finira-t’on toujours par revenir au point de départ? Existe-t’il finalement un point de départ, ou faisons-nous partie d’un éternel recommencement, un renouvellement, une continuité?

La pratique de l’Ashtanga Vinyasa Yoga me plaît particulièrement car elle s’inscrit justement dans la cyclicité. Une routine quotidienne de dérouler son tapis, exécuter un enchaînement de postures pendant une à deux heures, jusqu’à s’allonger en relaxation (savasana). Pour refaire la même chose le lendemain puis jour après jour. Rien de très compliqué au premier abord, pourtant les pratiquants réguliers savent à quel point cela peut être difficile. Au fil de la régularité et de l’expérience, on observe les fluctuations de l’état de notre corps et de notre mental. Comme un rendez-vous quotidien avec Soi, qui nous amène au fur et à mesure vers des couches plus subtiles de notre être et du monde qui nous entoure. Souffle, alignement, bandhas (absorptions musculaires), dristis (points d’attention du regard), tous ces points techniques s’éveillent et s’explorent avec le temps, rien d’autre.
Chaque jour la même chose, chaque jour différent.

On me demande parfois si je ne m’ennuie pas dans la pratique d’Ashtanga Vinyasa Yoga. Je réponds qu’elle n’est jamais la même. Le but ne me semble pas forcément d’atteindre la meilleure version d’un asana (posture), mais de l’explorer en prenant un temps routinier pour Soi, comme un check-up. Commencer ma pratique dans un certain état, avec mon humeur du jour, mon énergie, puis faire le chemin et arriver à un point où plus rien d’autre ne compte que ce qui est en train de se passer, se sentir présent par la concentration et l’effort. Lorsque l’ennui ou la routine surviennent, une nouvelle posture à explorer m’est confiée. Lors d’un échange il y a quelques jours, une enseignante comparait la pratique des asanas avec la musique, que travailler ses gammes était nécessaire avant de jouer puis improviser une mélodie. Cela fait bientôt 10 ans que je pratique l’Ashtanga. Avant de juger une technique, donnons-nous le temps et les moyens de l’explorer. Vraiment. Certaines périodes sont emplies de doute, de fatigue voire parfois d’ennui, comme la vie quotidienne. Mais l’observer et observer leur cyclicité permet au fur et à mesure de comprendre que cela passera, comme tout le reste. La pratique est à la fois simple et exigeante : être là, de manière constante et continue. Chaque jour, on recommence un peu à zéro.

Certains comparent la figure de l’enseignant comme celui qui soutient l’espace pour pratiquer. Au-delà d’aligner, d’ajuster, de transmettre, permettre un lieu de confiance, d’intimité, où l’on se sent en sécurité.

Un de mes professeurs écrivait récemment que la pratique nous rend au fur et à mesure sensible au monde qui nous entoure, les gens, les animaux, la nature. Je trouve cette réflexion belle et intéressante. Alain Daniélou parle de “jouer pleinement son rôle dans la symphonie universelle” (Shiva et Dyonisos, Avant-propos). Encore une comparaison musicale. Mais d’abord et avant toute autre chose, il faut oser et vouloir regarder en Soi. Parce-que finalement, cela se passe entre Soi et soi-même, sinon qui d’autre?

 

Illustration d’Hilma af klint